En 1862, la Cour de cassation a rendu un arrêt retentissant dans une affaire opposant Zoé X à son mari Ferdinand Berthon. Ce dernier avait été condamné aux travaux forcés en 1844. Lorsque Zoé X apprit cette condamnation, elle demanda l’annulation de son mariage pour erreur sur la personne de son époux. Sa requête fut rejetée en première instance puis en appel.
Les faits à l’origine de l’arrêt Berthon
Ferdinand Berthon avait été condamné à quinze ans de travaux forcés en 1844. Libéré de prison en 1857, il épousa Zoé X sans lui cacher son identité ni ses origines. Lorsqu’elle découvrit le lourd passé pénal de son mari, Zoé X demanda l’annulation du mariage pour erreur sur la personne, invoquant les articles 146 et 180 du Code Napoléon. Sa requête fut rejetée en 1860 par le tribunal de Paris, puis en appel en 1861 par la Cour impériale de Paris.
Bon à savoir : L’article 146 du Code Napoléon prévoit qu’il n’y a pas de consentement valable s’il a été donné par erreur. Et l’article 180 vise spécifiquement l' »erreur dans la personne ».
La position restrictive de la Cour de cassation
Zoé X forma un pourvoi devant la Cour de cassation en 1862. Mais la Haute Cour opta pour une interprétation restrictive de la notion d' »erreur sur la personne » : seule une substitution frauduleuse lors de la célébration pouvait selon elle entraîner la nullité du mariage. L’arrêt Berthon confirma donc la validité de l’union entre Zoé X et Ferdinand Berthon.
La Cour de cassation aurait pu faire une interprétation plus extensive de la notion d’erreur sur la personne, en considérant que la condamnation pénale de Ferdinand Berthon avait modifié sa personne civile. Mais elle choisit une lecture minimaliste de ces articles.
Une décision conforme au droit de l’époque
À une époque où le mariage était indissoluble, la Cour de cassation adopta une position rigoureuse, considérant que seul un vice du consentement portant sur l’identité physique du conjoint permettait d’obtenir la nullité. Cette solution, aussi surprenante soit-elle aujourd’hui, s’inscrivait dans la conception traditionnelle du mariage au 19ème siècle.
En effet, depuis l’abolition du divorce en 1816, le mariage était vu comme une union perpétuelle et irrévocable. Les juges de l’époque étaient donc réticents à prononcer des nullités, ce qui explique leur interprétation stricte des textes sur l’erreur dans la personne.
Un revirement rendu nécessaire par l’évolution des mœurs
Si cette jurisprudence fut longtemps suivie, l’évolution des mœurs vers plus de liberté individuelle la rendit obsolète. Dans les années 1920, la Cour de cassation assouplit sa position et admit progressivement la nullité du mariage pour erreur sur les qualités essentielles du conjoint. L’arrêt Berthon, pilier de l’indissolubilité du mariage pendant près de 60 ans, fut ainsi abandonné au profit d’une conception plus libérale du consentement matrimonial.
Par exemple, en 1923, la Cour de cassation admit la nullité du mariage d’une Française trompée sur la nationalité allemande de son mari, en pleine période d’après-guerre. Cette solution impossible quelques décennies plus tôt montre que la jurisprudence avait évolué avec les mœurs.
Il fallut toutefois attendre la loi du 11 juillet 1975, qui modernisa le divorce, pour que le législateur intervienne et autorise expressément la nullité du mariage pour erreur sur les qualités essentielles du conjoint.