Le 4 mars 1910, le Conseil d’État a rendu un arrêt qui allait devenir une référence incontournable du droit administratif français : l’arrêt Thérond. Derrière ce nom se cache une décision historique, qui a considérablement renforcé les pouvoirs du juge administratif. Revenons sur les faits et la portée de cet arrêt fondateur.
Un litige né de l’inexécution d’un contrat liant Montpellier à un particulier
Tout commence par un contrat passé entre la ville de Montpellier et M. Thérond, ayant pour objet la capture de chiens errants et l’enlèvement des animaux morts. Suite à des manquements de la commune dans l’exécution du contrat, M. Thérond demande des dommages-intérêts, demande rejetée par le Conseil de préfecture. Il se tourne alors vers le Conseil d’État pour obtenir gain de cause.
La reconnaissance par le Conseil d’État de sa propre compétence
Le Conseil d’État commence par écarter l’incompétence du Conseil de préfecture, ce contrat n’étant pas assimilable à un marché de travaux publics. Puis, il affirme sa propre compétence en l’absence de texte attribuant expressément ce litige à une autre juridiction. Il considère que ce contrat, visant l’hygiène et la sécurité des habitants, avait pour but d’assurer un service public relevant du juge administratif.
Bon à savoir : le Conseil d’État est la plus haute juridiction administrative française. Il est chargé de juger les recours en cassation dirigés contre les décisions des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel. Le Conseil d’État a également un rôle consultatif sur les projets de loi et de décret.
Une décision renforçant les prérogatives du juge administratif
Avec cet arrêt Thérond, le Conseil d’État étend sa compétence aux mesures d’exécution des services publics des collectivités territoriales, alors que celles-ci relevaient jusque-là des tribunaux judiciaires. Il unifie et simplifie ainsi le contentieux administratif, désormais centré sur le juge administratif. La portée de cette décision est considérable, marquant un tournant dans l’histoire de la justice administrative française.
Anne-Sophie, avocate spécialisée en droit public, témoigne : « L’arrêt Thérond a été fondateur pour l’affirmation de la compétence du juge administratif. Avant 1910, de nombreux litiges échappaient à son contrôle, fragilisant la cohérence du droit administratif. Désormais, le juge administratif est compétent pour l’ensemble du contentieux administratif ».
Plus d’un siècle après, la solution dégagée dans l’arrêt Thérond reste une référence. Elle symbolise le renforcement progressif des pouvoirs du juge administratif, devenu juge de droit commun du contentieux administratif. Cet arrêt fondateur marque donc une étape décisive dans l’émancipation de la justice administrative vis-à-vis de l’ordre judiciaire.
Quid de la situation de M. Thérond à l’issue de cette décision ?
Si le Conseil d’État s’est déclaré compétent dans cette affaire, qu’en est-il du litige opposant M. Thérond à la ville de Montpellier ? Le Conseil d’État a en réalité tranché le fond du litige dans cet arrêt historique.
Il a tout d’abord jugé que le monopole concédé par la commune à M. Thérond était illégal, car contraire à la liberté du commerce inscrite dans la loi Le Chapelier de 1791. Ne pouvant respecter ses engagements contractuels, la commune a été condamnée à indemniser M. Thérond pour le préjudice subi. Le Conseil d’État a ordonné une expertise pour évaluer précisément le montant de cette indemnisation.
Grâce à sa persévérance, M. Thérond a donc obtenu réparation pour le manquement contractuel de la ville de Montpellier. Au-delà de la victoire individuelle, cette affaire a surtout marqué une évolution historique du droit administratif français.