Commentaire de l’arrêt Casanova du Conseil d’État du 29 mars 1901

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L’arrêt Casanova du Conseil d’État du 29 mars 1901 fait date dans l’histoire du droit administratif français. Il pose le principe de non-intervention de l’administration dans l’économie et restreint fortement les possibilités d’intervention économique des collectivités territoriales.

Une délibération du conseil municipal d’Olmeto octroyant un traitement à un médecin

Les faits à l’origine de cet arrêt se déroulent dans la commune d’Olmeto en Corse. Le 4 novembre 1897, le conseil municipal de cette commune vote une délibération prévoyant l’allocation d’un traitement de 2 000 francs à un médecin. Celui-ci devra administrer gratuitement des soins à tous les habitants de la commune, riches ou pauvres.

Bon à savoir : Le conseil municipal est l’organe délibérant de la commune, chargé notamment de voter le budget.

Des contribuables demandent l’annulation de cette délibération

Plusieurs contribuables d’Olmeto, dont le médecin Casanova, demandent l’annulation de cette délibération qu’ils estiment illégale. Ils saisissent le préfet de Corse d’abord, puis le Conseil d’État ensuite, afin que celle-ci soit déclarée nulle.

« En tant que médecin déjà installé à Olmeto, je risquais de perdre une partie de ma patientèle au profit de ce nouveau médecin communal qui proposait des consultations gratuites » témoigne Maître Casanova.

La question de la recevabilité du recours des contribuables

La première question à trancher pour le Conseil d’État est celle de la recevabilité du recours intenté par ces contribuables. Le juge administratif suprême considère qu’en tant que contribuables de la commune, ils ont intérêt à agir pour contester une dépense impactant les finances de la collectivité. Leur recours est donc déclaré recevable.

Le conseil municipal est sorti de ses attributions selon le Conseil d’État

Sur le fond, le Conseil d’État relève que cette délibération ne vise pas à organiser l’assistance médicale gratuite des indigents, prévue par la loi de 1893. Il souligne qu’en l’absence de toute circonstance exceptionnelle et alors que deux médecins exercent déjà sur la commune, le conseil municipal est sorti de ses attributions. Celui-ci ne pouvait légalement octroyer un traitement à un médecin chargé de soigner gratuitement tous les habitants sans condition de ressources.

Le Conseil d’État cite en exemple d’autres communes rurales confrontées à une pénurie de médecins, qui auraient pu légalement recourir à ce type de délibération.

Le Conseil d’État annule la délibération du conseil municipal

Estimant que le conseil municipal a outrepassé ses pouvoirs en allouant ce traitement, le Conseil d’État décide d’annuler la délibération litigieuse. L’arrêté du préfet approuvant cette délibération est également annulé. La requête des contribuables est donc admise par la haute juridiction administrative.

Cet arrêt limite le pouvoir d’intervention économique des collectivités

Par cet arrêt fondateur, le Conseil d’État pose clairement le principe de non-intervention de l’administration dans le fonctionnement du marché et de l’économie. Il restreint fortement la possibilité pour les collectivités d’intervenir dans le champ économique lorsque cela fausse le libre jeu de la concurrence.

La portée de l’arrêt Casanova est donc considérable en droit public économique. Il n’autorise une intervention publique sur le marché que dans des conditions strictes, tenant à l’existence de circonstances exceptionnelles ou de défaillances du marché. Ce principe juridique essentiel demeure aujourd’hui un pilier du droit administratif français.